La danse de la nouvelle lune

Minuit.

Face à l'immense manoir de la duchesse, la foule finissait de se rassembler pour assister à l'attraction de la soirée: un spectacle en l'honneur de la nouvelle lune. Car oui, quand on est riche, tous les événements les plus anecdotiques et les plus communs peuvent être un prétexte à faire la fête. Tout Tréno était au rendez-vous. Les plus nobles courtisaient leurs voisines, les modestes s'encanaillaient et tripotaient les donzelles présentes ce soir là, et les brigands fouillaient les poches et dépouillaient les quelques étourdis qui avaient eu le malheur de laisser leurs sacs ouverts. Le tout sur un fond musical rythmé et sous un air embué par les senteurs d'alcool et d'encens de la ville. Sous cette nuit noire privée de Séléné, les lueurs du manoir et des torches allumées donnaient une chaleur presque inquiétante à ce tableau contrasté.

En somme : une nuit normale à Tréno.

Ou presque.

Car la danseuse qui monta sur la scène, elle, n'était pas tout à fait une danseuse ordinaire.

La jeune femme en robe rouge, privée d'armures pour l'occasion, s'approcha du centre de l'estrade où avait été érigé un bâton de platine richement décoré, et commença à danser autour. Une danse sensuelle, belle, gracieuse et provocatrice, une danse diabolique et enivrante qui, déjà, attirait à elle tous les regards. Tant mieux. Ce serait plus facile de faire son boulot ainsi.

La vérité était en fait toute autre. La duchesse ressentait depuis plusieurs mois une menace peser sur ses épaules. Une menace indéfinissable, oppressante et insupportable, dont elle ne savait rien et dont elle voulait à tout prix se débarrasser, quand bien même elle ne fuit que le fruit de son imagination. Pour Lyndia, cela ne faisait aucune différence. Elle avait été engagée pour 2000 Gils, elle avait accepté de tenir son rôle et de subvenir aux caprices de son employeur, et cette nuit était la dernière nuit de son calvaire. En effet, après une semaine à surveiller la duchesse de loin, à interroger ses proches et à écarter tout danger potentiel de la Dame (le tout, bien sûr, avec la plus grande discrétion), la duchesse considéra que le seul moment où elle pourrait se faire véritablement assassiner serait pendant cette soirée.

La Rose Noire avait été claire. Ses services ne duraient qu'une semaine, et si cette mascarade devait durer plus longtemps, ses prix passeraient en tarif mensuel. La duchesse déglutit à cette idée et concéda à la mercenaire de la libérer de ses obligations une fois la soirée passée.

Malgré que l'éventualité que quiconque veuille s'en prendre à la duchesse soit minime, Lyndia prenait son rôle très au sérieux. Et avait finalement décidé de prendre le meilleur spot de Treno pour observer les invités et pour garder son oeil sur la duchesse: le spot de la danseuse. La couverture était parfaite. Son visage n'était connu d'aucun assassin de renom, son éducation draconique en faisait une danseuse fort crédible, et, malgré son cache-oeil, la semi rousse était bien assez superbe pour que l'on ne puisse pas la voir comme une veuve noire. Pour finir, la scène étant surélevée et privée d'estrades latérales, elle pouvait surveiller littéralement toute la place, déjà envoûtée par la beauté de sa chorégraphie.

Et évidemment, le bâton qui avait été installé dans le sol n'était autre que son Trident de platine, paré à se faire dégainer au moindre geste suspect dans la foule.

Ne restait plus qu'à prier pour que cette soirée se termine comme toutes les autres : sans un brin d'action et avec des pourboires facilement acquis...

HJ: